Avec lui, le dépaysement est une manière d'avancer, une façon de voir le monde comme il se vit, un ballon pas loin, des rencontres nouvelles à l'horizon. Son parcours, des équipes de jeunes du Beaujolais (Chazay, Villefranche…), aux séniors (Trévoux, Chasselay, FCVB), Stéphane D'Urbano a tout connu, tout intégré dans le cursus d'un gars qui s'est toujours nourri des autres, de ces vestiaires qui ne l'ont pas oublié. A l'orée d'une nouvelle page de sa vie d'entraîneur, en Californie, aux Santa Cruz Breakers, cette terre américaine qui était un rêve de "gone" pour lui, il rembobine les étapes d'avant, du stade Armand-Chouffet, à Beyrouth, de Fétan au stade Giuly, il a tout emmagasiné avant de monter dans l'avion dans quelques jours. Parce que même aux States, la France et le Beaujolais ne seront jamais trop loin...
Depuis votre départ de l'Athletico de Beyrouth au Liban l'année dernière, de quoi votre quotidien a été fait ?
"J'ai fini mon contrat le 30 juin, début juillet j'étais en France. Je voulais vraiment prendre quelques mois en France pour me poser un peu avant de choisir une autre destination après avoir passé quatre ans à Beyrouth. J'avais besoin de souffler, d'aller voir la famille un peu partout, en Espagne, en Italie. Pendant cette période j'étais régulièrement en contact avec le club américain (Santa Cruz Breakers) qui voulait vraiment que je signe avec eux. On a démarré les démarches en septembre."
Comment est née cette idée de rejoindre les Santa Cruz Breakers en Californie ?
"L'idée est venue d'un agent, Jérôme Meary, bien implanté aux USA dans le Soccer. Il est venu au Liban en Avril 2021, on a bien sympathisé. Les Etats-Unis est un pays que j'essaie de rejoindre depuis des années, mais sans contact là-bas, c'est très compliqué de trouver un club qui va prendre en charge ton voyage et tout un tas de démarches qui coûtent de l'argent. Tu as besoin d'avoir un contrat de travail pour y parvenir. En juin dernier, cet agent m'a mis en lien avec les Breakers où travaille Niša Saveljić(ancien joueur des Girondins de Bordeaux et de Sochaux). C'est lui, là-bas, le directeur exécutif du club. Humainement et sportivement, on s'est très vite très bien entendus. Ils ont en tête un gros projet avec un directeur français. Ils se sont mis en partenariat avec le FFF en septembre. C'est le deuxième club des USA à avoir un partenariat avec la FFF. Ensuite, les démarches ont duré très longtemps. J'ai récupéré mon visa de travail, seulement la semaine dernière. "
"Humainement, j'ai rencontré des gens adorables au Liban"
De ces quatre années passées au Liban, qu'en avez-vous retenu ?
"Que du positif même si l'époque Covid là-bas a été très rude. J'étais dans un bon club, épaulé par l'OL pendant des années. On a mis en place, lors des deux premières années à Beyrouth, un long programme de formation des jeunes et des entraîneurs. On a obtenu le diplôme de meilleur centre de formation du pays et comme aboutissement final, en mars 2021, on a eu la reconnaissance du Moyen-Orient de la FIFA en tant que premier centre de formation. C'est une belle réussite, sportivement. Plus que ce que je pouvais imaginer. Humainement, j'ai rencontré des gens adorables malgré toutes les difficultés que le Liban vit depuis deux ans (NDRL : crise économique, problèmes politiques, l'explosion qu'il y a eu en aout 2020 sur le port de Beyrouth). A aucun moment, je n'ai regretté ma présence là-bas."
De Beyrouth en retrouvant la France, le décalage entre ces deux univers, vous le vivez comment ?
"Au Liban, je travaillais. Là, quand je suis rentré en France, je ne pouvais pas m'engager dans un club parce que j'avais démarré des démarches aux USA. Pendant quatre ou cinq mois, je suis intervenu dans les formations de cadres à la Ligue, au District du Rhône, à la FFF. Ne plus être sur un terrain, chaque jour, cela a été très difficile, surtout sans savoir si le projet aux USA allait aboutir. L'hiver a été compliqué à vivre."
Ne pas aller aux USA, trouver un autre projet en France, vous auriez vécu cela comme un échec ?
"Tout dépend du projet. Je n'étais pas dans l'idée de revenir en France où j'ai eu des propositions intéressantes. Ce qui me faisait peur, si je n'avais pas réussi à obtenir ce visa, c'est d'avoir laissé passer d'autres projets sur d'autres continents."
"Le FCVB, est vraiment passé dans une autre dimension ces dernières saisons"
Vous avez grandi au coaching dans la région beaujolaise, notamment à Villefranche. Quel regard portez-vous sur son évolution depuis votre départ en 2017 ?
"Ce n'est plus du tout le club que j'ai connu. Ils jouent la montée en Ligue 2 depuis deux ans, malgré la série difficile vécue en ce moment. Je suis vraiment fier de leurs parcours. Quand je viens à Armand-Chouffet, je vois que le club est passé dans une autre dimension. J'espère vraiment que le club pourra enfin toucher la Ligue 2."
Et l'émergence du voisin, le GOAL FC à Chasselay, vous suivez leur parcours en National 2 ?
"Je vois souvent l'entraîneur (Jamal Alioui). Je suis vraiment content pour lui et le président Jocelyn Fontanel. Ils ne lâchent pas la tête de leur poule. Ce sont de vrais passionnés de football, dans un club qui a pris le temps de se structurer. Il ne faut jamais oublier que Chasselay, ça reste un village de 3000 habitants, c'est vraiment une belle chose de les voir si haut. J'espère qu'ils vont grimper en National. Ce serait chouette d'avoir un derby FCVB-GOAL FC en National, où même voir Villefranche en L2 et GOAL en National, je prends aussi ! (rires)."
Que véhicule les Etats-Unis, dans votre choix ?
"Suis amoureux du sport US depuis tout petit. J'ai baigné dans l'histoire des Bulls de Jordan, j'aime le système des Universités, la Draft. Je me suis toujours vu là-bas. Et j'ai compris, il y a peu de temps, que ce serait très compliqué d'arriver là-bas sans être aidé. J'aime aussi dans cette culture, la musique, le jazz, le blues. C'est un rêve culturel qui m'a porté vers ce pays."
"Je ne suis pas stressé d'arriver à Santa Cruz, j'ai hâte de rencontrer Niša Saveljić, le directeur exécutif du club"
L'appréhension est de quelle sorte avant de débarquer là-bas ?
"Je ne suis pas stressé d'y aller, j'ai hâte d'y être, rencontrer des gens qui y sont. L'avantage, par rapport à ce que j'ai vécu quatre ans en arrière, c'est que je discute avec ceux qui y sont déjà, tous les jours avec notamment Niša Saveljić au téléphone. J'ai l'impression de les connaître."
Quel sera votre rôle au sein de ce club qui est assez récent dans l'histoire du Soccer aux Etats-Unis ?
"Je serai directeur de l'Académie, près de San Francisco. Le club a été créé surtout en direction des jeunes qui voulaient développer le Soccer sur place. Il y a quatre ans, une légende du skate, Rob Roskopp, a repris le club pour dynamiser sa ville, Santa Cruz. Ils ont un vraiment un gros projet avec une belle structure dans la formation, pour les jeunes, c'est ce qui les intéresse vraiment. Le club veut aller le plus loin possible. Je vais être directeur du centre de formation, former des entraîneurs, être au quotidien à leurs côtés comme à Beyrouth. Il s'agira de mettre en place un programme d'entraînement des U6 jusqu'aux U19, structurer tout le centre de formation. Il y a une coupe du monde qui arrive en 2026 et le club veut devenir une organisation professionnelle, cadrée."
Dans dix ans, vous vous voyez où ?
"Dans un gros centre de formation, ce que serait devenu les Breakers ou pourquoi pas sur un banc de touche en MLS."
A 40 ans, quelles sont les rencontres qui ont compté dans votre parcours ?
"Je citerai d'abord mon premier contrat de travail à Chazay avec le président Daniel Massey, à 18 ans. Gibert Grossat à Trévoux m'a permis, pendant sept ans, d'apprendre mon métier d'entraîneur. J'ai aimé travailler avec Laurent Picard, un super mec à l'ASMT. Avant, à Villefranche, chez les jeunes, grâce à Jean-Jacques Versaut, j'ai pu aussi avancer. Je ne peux pas oublier Jean-Michel Picollet m'a fait venir à Chasselay où j'ai connu un président au top, Jocelyn Fontanel. Au FCVB, la doublette de présidents Terrier-Raty a aussi compté. Il y a bien-sûr Landry (N'Dzana). J'ai passé trois ans en CFA à Villefranche avec lui. Et découvrir toutes ces responsabilités avec un pote, c'est génial. On a tout géré ensemble. La pression… Chaque étape a été importante. A l'OL, Jean-François Vulliez (directeur de l'Académy de l'OL), m'a récupéré après mon passage en Calade en 2017. Sans lui, je ne suis peut-être pas aux USA, aujourd'hui. L'étiquette Olympique Lyonnais, cela m'a offert une autre dimension. Au Liban, Robert Paoli et René Matta, mes deux présidents, je les garde aussi dans mon cœur."
"A Villefranche, j'ai passé de supers moments avec Maxime Jasse et Thomas Antoinat"
Quels joueurs vous garderez en tête au cours de toutes ces années ?
"Davy Briel et Nicolas Roux à Trévoux par leur exemplarité à plus de 40 ans dans une équipe avec beaucoup de jeunes, ont montré le chemin. J'avais à peine 30 ans, j'étais un jeune coach. Ils mettaient de la rigueur dans les matchs et les entraînements. C'était un vrai bonheur de les avoir avec moi. A Villefranche, avec Jasse et Antoinat, j'ai aussi passé de supers moments. Thomat (Antoinat), c'était la Calade même, et Max (Jasse) la grande classe dans sa façon de jouer et son discours, il était vraiment au-dessus de tout."
A Villefranche, vous avez passé trois ans sur le banc (2014-2017), en tant que jeune entraîneur. Quel souvenir placeriez-vous au-dessus de tout ?
"Le moment qui me vient, là, tout de suite, c'est la dernière journée de notre première saison en CFA, à Nice. On part pendant trois jours. A la trêve on était en bas de classement et on avait fini sur une série quinze matchs sans défaite. On était vraiment entre potes, à Nice. C'était un week-end génial, avec de bonnes bringues... C'était le dernier match de Soner Ertek avec nous (NDRL : un des grands défenseurs que le FCVB a connu ces dernières années, la classe, l'autorité naturelle en plus d'être un gars rempli de valeurs. Capitaine à Nice, il avait ouvert le score sur pénalty pour Villefranche, Jasse aussi). Il y avait une émotion extraordinaire dans le vestiaire. Dans le même week-end, Christophe Varliette, notre préparateur physique qui part parce que sa femme allait accoucher. On gagne 2-1 à Nice, au bout de tout ça. J'en garde un énorme souvenir alors qu'il n'y avait aucun enjeu sportif sur ce match, sauf la 5ème place à sauver."
Au fil de toutes ces expériences, vous aimeriez transmettre quoi ? Quelle idée du jeu ?
"Jouer en 4-4-2 ou 3-5-2, cela m'importe peu. Un coach doit s'adapter à ses joueurs. Je n'arrive pas comprendre les entraîneurs qui s'obstinent à jouer dans un seul système. Je veux que les joueurs comprennent que ce qui compte, ce sont surtout les intentions de jeu. On peut démarrer en 4-3-3 et passer au bout de quinze minutes en 4-4-2, mettre un coup de pression à l'adversaire pendant dix minutes dans une autre organisation. Il faut être capable de "switcher" rapidement dans un match, avec de l'énergie et de l'intensité. J'aime quand ça vite vers l'avant. Le sport américain, c'est que ça : de la transition, des contre-attaques. J'aime le foot de Liverpool de Klopp, l'Athlético de Madrid de Simeone. J'aime cet état d'esprit, ce grain de folie. C'est ce que je veux voir chez mes joueurs."
La notion de temps qui sera toujours compté pour un coach, ça vous suggère quoi ?
"Dans un centre de formation, cela pèse moins parce que tu ne peux pas avoir des résultats du jour au lendemain. Il faut du temps. Mais plus haut, j'y serai confronté tôt ou tard..."
Ralph NEPLAZ
Correspondant local de presse.