"Un stagiaire motivé et travailleur, comme je n'en avais encore jamais eu, et je vous assure que j'en ai vu passer…". Telle est la description que la restauratrice beaujolaise qui employait Sékouba Sylla fait du jeune homme lorsqu'elle l'a embauché pour la première fois l'été dernier dans son établissement.
Convaincu de ses qualités professionnelles, elle n'avait pas hésité à le prendre comme apprenti dans le cadre de son CAP cuisine, que le jeune effectuait au lycée Rabelais de Dardilly. Mais tout ça, c'était avant que le Guinéen ne se voie délivrer une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Depuis, tout s'est arrêté pour lui, mettant en péril son futur mais aussi celui de son ex-employeuse. La restauration fait en effet face à un contexte de recrutement difficile ; beaucoup d'établissements sont en manque de personnel.
"Aujourd'hui, je ne peux pas employer Sékouba car il est en attente de régularisation et je me retrouve sans aide en cuisine, souligne la restauratrice. Mais le plus difficile, c'est de savoir qu'un garçon méritant comme lui risque de gâcher une année, voir de rater sa réinsertion dans le monde professionnel alors qu'il n'y a pas plus investi que lui". Son ancienne employeuse n'est pas la seule à souligner ses qualités : sa conseillère en insertion sociale et professionnelle à la Mission locale de Villefranche, qui l'accompagne depuis février 2022 dans le cadre de la Garantie jeune, tient le même discours.
"Il a trouvé son premier stage de trois semaines en toute autonomie, avant d'en réaliser un deuxième de la même durée, dans un autre restaurant qui a abouti sur une proposition de contrat d’apprentissage, constate la conseillère. Il vit sur Gleizé et se rend une fois par mois à Dardilly pour suivre ses cours, il se lève tôt afin de prendre le train et d'arriver à l’heure en classe.
Le reste du temps, il est apprenti commis de cuisine dans le restaurant qui lui a proposé un contrat en alternance. Le rythme est intense et fatiguant mais Sekouba tient le coup car il est passionné". Concernant son accompagnement avec la Mission locale, le jeune home est là aussi exemplaire, ne manquant jamais un atelier collectif ou un entretien individuel.
"Tout ce que je souhaite, c'est pouvoir continuer mon apprentissage"
À seulement 20 ans, Sékouba Sylla a traversé de nombreuses épreuves dans sa jeune existence. Il a quitté la Guinée en suivant son oncle, avec qui il vivait du fait de la maladie de sa mère. Après avoir traversé le Mali, l'Algérie, ils sont séparés en Libye et effectue la traversée séparément : son oncle décède en mer et Sékouba arrive seul, alors âgé de quinze ans, sur le sol italien.
"on ne donne pas la possibilité de travailler à des jeunes qui ne demandent que ça"
C'est sa maitrise de la langue de Molière – le Français est la langue officielle de la Guinée – qui le pousse à rejoindre l'Hexagone. Alors mineur isolé, il passe deux ans en Bourgogne, se formant en apprentissage en mécanique automobile.
"J'étais avec un patron qui ne m'a pas aidé du tout et me faisait faire des heures supplémentaires non payées : quand j'ai commencé à revendiquer, il ne m'a pas gardé, explique le jeune Guinéen. J'avais 18 ans, C'est comme ça que je suis arrivé à l’Oasis. Quand je suis arrivé là, j'ai commencé à chercher des stages ici et à ne rien lâcher".

Rita Possuelos, éducatrice spécialisée à l'Oasis, confirme ses dires : "Il a cherché tout seul, il a fait plusieurs stages : c'est quelqu'un de travailleur, qui malgré son passé difficile, en veut vraiment". Sékouba n'a en effet plus de contact avec sa famille en Guinée depuis deux ans : sa vie est aujourd'hui en France, et en suspens de l'OQTF qu'il a reçu en octobre.

"Dans cette obligation de quitter le territoire, ils disent qu'il n'a pas de famille en France, mais c'est aussi le cas en Guinée, ça n'a pas de sens", pointe Rita Possuelos. Il n'est pas le seul dans cette situation à l'Oasis : un autre jeune homme, Sékou, qui désire faire un apprentissage en coiffure, là encore un secteur en tension, est lui concerné par une OQTF.
"J'ai l'impression qu'on les maintient dans une espèce de No Man's Land, en attendant qu'ils fassent une connerie puisqu'ils ne peuvent plus travailler, note l'éducatrice. La France essaye de valoriser "la valeur travail", comment on l'entend partout. Pourtant, on ne donne pas la possibilité à des jeunes qui ne demandent que ça, dans des métiers en tension en plus : quelque chose ne tourne pas rond dans les discours des politiques".
Rita Possuelos a alerté les pouvoirs publics sur la situation de Sékouba en écrivant à la fois au maire de Villefranche Thomas Ravier et au sous-préfet Jean-Jacques Boyer en décembre. Ce dernier lui a signalé fin décembre qu'il avait "saisi la préfecture à son sujet". Depuis, la situation n'a pas évoluée. Sékouba n'a qu'une seule envie : reprendre le chemin de l'école et travailler. "Tout ce que je souhaite, c'est pouvoir continuer mon apprentissage".
Plus d'infos : Si vous êtes en capacité d'aider Sékouba Sylla, contactez l'Oasis à l'adresse social@association-oasis.com